Un barbare en Asie
Quand je vis l'Inde, et quand je vis la Chine, pour la première fois, des peuples, sur cette terre, me parurent mériter d'être réels. Joyeux, je fonçai dans ce réel, persuadé que j'en rapportais beaucoup. Y croyais-je complètement ? Voyage réel entre deux imaginaires. Peut-être au fond de moi les observais-je comme des voyages imaginaires qui se seraient réalisés sans moi, œuvre d''autres'. Pays qu'un autre aurait inventés. J'en avais la surprise, l'émotion, l'agacement. C'est qu'il manque beaucoup à ce voyage pour être réel. Je le sus plus tard. Faisais-je exprès de laisser de côté ce qui précisément allait faire en plusieurs de ces pays de la réalité nouvelle : la politique ? [...] Ce livre qui ne me convient plus, qui me gêne et me heurte, me fait honte, ne me permet de corriger que des bagatelles le plus souvent. Il a sa résistance. Comme s'il était un personnage. Il a un ton. À cause de ce ton, tout ce que je voudrais en contrepoids y introduire de plus grave, de plus réfléchi, de plus approfondi, de plus expérimenté, de plus instruit, me revient, m'est renvoyé... comme ne lui convenant pas. Ici, barbare on fut, barbare on doit rester." Henri Michaux.
Extrait sonore